Nina Attal : « La guitare est l’instrument qui me caractérise depuis toujours »
Elle est l’une des pionnières parmi les guitaristes féminines en France, diffusant avec brio depuis plus de 15 ans l’héritage blues et rock de ses pairs parmi lesquels figurent Stevie Ray Vaughan ou Albert King. La chanteuse et guitariste parisienne Nina Attal débute sa carrière au tremplin Blues Sur Seine en 2009 où elle rafle tout simplement tous les prix. Grâce à ce succès, elle commence à tourner en France et à l’Etranger, enregistre un premier EP ‘Urgency’ suivi d’un album ‘Yellow 6/11’ avant de faire la rencontre du bassiste de Chic qui produira son deuxième album ‘WHA’. Sa carrière est lancée. Musicalement, Nina Attal puise dans le blues et le rock des années 50 à 80 mais s’inspire également d’artistes actuels, mélangeant ainsi tradition et modernité. Après avoir dévoilé trois singles dont l’excellent Backdoor, elle reviendra le 28 mars prochain avec un cinquième album studio intitulé ‘Tales Of A Guitar Woman’ dans lequel on retrouvera toujours plus de guitare sous toutes ses formes. Si la guitare électrique est omniprésente, Nina a également utilisé des sons de dobro et guitare à 12 cordes dans ses nouvelles compositions. Et c’est à l’occasion de cette sortie que j’ai pu échanger par téléphone avec Nina pour revenir sur son parcours, connaître un peu plus ses influences, découvrir son rapport à l’instrument qu’elle chérit tant et bien sûr, évoquer ce nouveau disque qui présente un nouveau concept pour la chanteuse : chacune des chansons est basée sur un personnage dont on suit l’histoire.
The Morning Music : Comment te sens-tu à quelques mois de la sortie de ton nouvel album ‘Tales Of A Guitar Woman’ ?
Nina Attal : Eh bien assez excitée je dois dire car l’attente est assez interminable entre le moment où l’enregistrement est terminé et celui où tu vas faire découvrir ces nouveaux morceaux aux gens. J’ai vraiment hâte que cet album sorte parce qu’on prépare ce moment depuis déjà plusieurs mois maintenant. En attendant la sortie, nous avons dévoilé trois singles. Cela permet déjà d’avoir le ressenti des gens et de prendre les bonnes énergies jusqu’au moment fatidique.
TMM : Cet album composé de 13 titres aborde des sujets aussi vastes que variés tels que la guerre, la maladie, les enjeux écologiques et sociétaux, avec néanmoins une touche d’espoir et de lumière. Comme si malgré tout ce qui se passe, il faut tout de même garder le cap de l’espérance.
Nina : Oui c’est important de garder l’espoir. Je pense qu’on ne fait pas de la musique pour être pessimiste et voir tout en noir donc j’ai toujours cette envie qu’il y ait de l’espoir et de la lumière derrière tout ça. Pour cet album, je me suis à la fois inspiré de mes expériences personnelles tout comme je suis allée puiser dans des sujets universels qui touchent tout le monde, de près ou de loin. Nous vivons de plus en plus dans un monde où on ne peut pas vraiment décrocher de ce qui se passe. Peut-être que c’est le fait de vieillir, d’évoluer avec le monde, qui fait que je m’implique de plus en plus. Pour revenir sur l’aspect plus personnel, l’une des chansons aborde la maladie parce qu’un membre de ma famille a été touché par un cancer mais encore une fois c’est un sujet qui parle à tout le monde parce que malheureusement nous faisons tous face à ça. De la même manière qu’il y a aussi plusieurs guerres dans le monde et que j’ai rencontré plusieurs personnes qui ont fui l’Ukraine pour rejoindre la Suisse où j’habite depuis plusieurs années. Certains m’ont fait part de leur histoire donc ça me touche directement. Après, ça me semble impossible que les choses qui se passent dans le monde nous touche indirectement. J’avais envie de parler de tout ça.
TMM : Est-ce que tu te considères comme une artiste engagée, que ce soit d’un point de vue politique, environnemental, societal, … ?
Nina : Je ne sais pas si je peux dire ça parce que même si j’ai des opinions qui sont tranchées sur certains sujets, ce serait très facile de se dire engagé vis à vis de ça. Qui aime la guerre ? Qui aime qu’on saccage la planète ? Si être engagée c’est ça, alors oui mais on a tous envie de se battre pour ça. Je pense que dans le monde dans lequel nous vivons, c’est important de donner ses opinions et ça devient compliqué de se cacher derrière une neutralité. Même s’il y a des sujets sur lesquels on n’a pas envie de s’exprimer, je pense que c’est important de défendre des causes qui nous tiennent à cœur.
TMM : Chaque titre de l’album raconte l’histoire d’un personnage. Dans Backdoor, le premier single, on suit Abbey qui travaille dur pour payer le loyer d’une maison qui ne lui plait même pas. Qu’est ce qui t’a inspiré cette chanson ?
Nina : J’ai souvent des questionnements sur le fait de s’ancrer dans une routine, dans quelque chose de stable et de rassurant, à défaut de vivre des aventures ou de prendre des risques. Sur le fait aussi peut-être de s’enfermer dans quelque chose qui ne nous correspond pas. C’est un sujet qui peut être récurrent pour beaucoup de gens, qui au fond peuvent se demander à quoi bon aller bosser juste pour payer son loyer, quel est le kiff là dedans. Voilà, c’était ça le sens de cette chanson.
TMM : Peux-tu nous parler de cette Guitar Woman ?
Nina : C’est clairement moi. Cela fait 20 ans que je fais de la guitare et mon instrument est devenu tellement important pour moi. C’est ce qui me définit, c’est ce qui me caractérise depuis toujours. Il m’a accompagné dans toutes les étapes de ma vie et de ma carrière. Je suis indissociable de celui-ci et je trouvais important de le mettre encore plus en avant. Et puis j’ai aussi appelé l’album comme ça parce que toutes les musiques ont été composées à la guitare, c’est tout ce qui fait la palette musicale de cet album, donc c’était important encore une fois de le souligner dans le titre.
TMM : La guitare est au cœur de tes chansons depuis tes débuts, les textes te viennent t-ils avant ou après avoir écrit la musique ?
Nina : En général, je me pose dans le canapé et je prends ma guitare pour composer des morceaux. Si je ne suis pas satisfaite de ma chanson sous cette forme là, je ne vais pas plus loin. C’est très important pour moi que le morceau fonctionne juste en guitare-voix avant d’ajouter la basse et la batterie. Souvent la mélodie vient en même temps que la musique et comme j’ai toujours en tête des thèmes que j’ai envie d’aborder, la sonorité de ce que je suis en train de créer va me guider vers tel ou tel sujet généralement.
TMM : Est-ce que le fait d’avoir écrit et composé cet album seule a été pour toi un défi ou simplement une manière de conserver ton indépendance artistique ?
Nina : L’idée est clairement de rester indépendante. J’ai beaucoup travaillé avec des gens dans le passé et c’est vrai que depuis la sortie de l’album précédent ‘Pieces of Soul’ j’ai ressenti ce besoin de me retrouver face à moi-même pour voir ce qui allait en ressortir. C’est la manière la plus authentique et la plus sincère que j’ai trouvé pour écrire de la musique. Ce n’est qu’au dernier moment que j’ai fait appel à mes musiciens pour avoir des idées d’arrangements et pour sublimer chaque instrument. Cela m’a permit en tout cas d’écrire qui je suis, de rester la plus indépendante possible et de faire la musique que j’aime.
TMM : Tu utilises d’autres instruments pour composer tes chansons ?
Nina : En fait j’ai plein de guitares différentes à la maison, des électriques bien sûr parce que c’est mon instrument principal mais aussi une acoustique, une classique, des dobros, des lap steel, des douze cordes, … J’ai une grande palette de sonorités différentes avec ces instruments qui me permettent de trouver l’inspiration et de composer. Et quand je termine les morceaux en guitare voix, je peux continuer à les arranger chez moi sur l’ordinateur avant de rentrer en studio avec les musiciens.
TMM : Est-ce qu’on ne se sent pas comme un ovni dans l’industrie musicale quand on se bat pour garder le contrôle de ses œuvres ?
Nina : Je trouve que les réseaux sociaux ont permis de booster les artistes qui essaient de se débrouiller par leurs propres moyens et certains finissent par avoir une belle carrière. On peut donc faire de la musique tout seul dans sa chambre et obtenir un bon résultat. C’est comme ça que Billie Eilish a commencé d’ailleurs. Il y a plein de manières de faire de la musique aujourd’hui mais c’est ce qui fait aussi que ça devient de plus en plus dur de se démarquer dans une industrie qui évolue constamment. J’ai commencé à faire de la musique professionnellement il y a 16 ans et j’ai parfois du mal à suivre. Pour autant, ça me parait évident de continuer à faire ce en quoi je crois. Ça ne me viendra jamais à l’esprit de changer qui je suis pour plaire à un label et crois moi que certains ont essayé. Le plus important pour moi c’est de durer dans ce métier et j’espère le faire tant que j’en ai la force et l’envie. Je ne veux pas faire le buzz pour que dans deux ans on n’entende plus parler de moi. Après 16 ans de carrière, je suis plutôt fière du chemin parcouru.
TMM : Lors de celle-ci, tu as eu la chance de rencontrer des pointures dont notamment Quincy Jones qui a nous a quitté en novembre. Qu’est-ce que tu te rappelles de cette rencontre avec ce qui est peut-être le plus grand producteur de tous les temps ?
Nina : Ça s’est passé en Suisse au festival de Montreux où j’accompagnais Marc Seronne à la guitare et pendant qu’on jouait, je tourne la tête vers le bord de la scène et Quincy Jones était assis là, à quelques mètres de moi, et me regardait jouer. A ce moment là j’ai commencé un petit peu à suer (rires). Je suis allée le voir après le concert et il m’a dit que c’était super. C’était une rencontre incroyable.
TMM : Il y a également eu Chic, Jamie Cullum ou encore Charlie Winston.
Nina : Oui et c’est vrai qu’avec Chic ça a été particulièrement intense parce que ça a mené à une collaboration avec leur bassiste Jerry Barnes. Je suis allée faire un album à New York en 2014. Cette rencontre a donc été vraiment enrichissante. Et oui, j’ai partagé des scènes avec des artistes que j’admire et c’est toujours émouvant même si au fond ce n’est pas vraiment le but. Ça reste toujours de bons souvenirs tout de même.
TMM : J’imagine que tu dois avoir des dizaines de guitare. Y’en a-t-il une qui te suit partout où tu vas ?
Nina : Je n’ai pas tant de guitares que ça, je privilégie la qualité à la quantité on va dire. Celle qui m’accompagne partout c’est ma Stratocaster qui n’est pas une Fender mais une guitare custom assemblée selon mes goûts par des luthiers de Guitar Garage à Paris, un atelier assez réputé dans le quartier de Pigalle. Celle-ci c’est ma guitare fétiche qui me suit depuis plusieurs années maintenant. J’ai aussi une Gibson ES-335 qui est maintenant la plus vieille guitare que j’ai parce que c’est mon papa qui me l’a offerte à mes 15 ans. Je la chéri et je l’aime toujours autant. Dans celles qui comptent il y a aussi ma Martin acoustique que j’ai depuis que je suis adolescente et que je vois évoluer avec moi parce que le son, tu sais, change avec le temps. C’est vraiment gratifiant. Voilà, ce sont les trois guitares qui comptent le plus.
TMM : Tu rends hommage à Jimi Hendrix sur scène avec ton spectacle Electric Ladyland, le considère tu comme ton maitre absolu ou d’autres guitaristes ont tout autant inspiré ton jeu ?
Nina : Oui, il y a Stevie Ray Vaughan qui est le guitariste qui m’a le plus influencé. Et puis il y en a un par génération qui m’a vraiment inspiré, c’est un peu comme une famille, il y a le grand-père Jimi Hendrix, le papa Stevie Ray Vaughan et l’enfant John Mayer (rires). Voilà, c’est pour moi la suite logique guitaristique. Après je peux nommer B.B. King, Rory Gallagher, les guitaristes de blues que j’ai beaucoup écouté comme Albert King, ou encore David Gilmour. Mais il y en a d’autres qui par contre ne me parlent pas du tout.
TMM : Pour ma part, ce sont ceux qui font du shred notamment, je trouve qu’ils sont trop dans la démonstration.
Nina : Oui, je suis d’accord. C’est B.B. King qui disait : « quand tu fais un solo de guitare, si tu n’as pas d’histoire à te raconter, il vaut mieux te taire ». Et pour moi un solo de guitare ça se construit, ça raconte quelque chose. Il y a des guitaristes très bons mais qui ne m’inspirent pas comme Joe Bonamassa, Gary Moore. Je ne saurais pas dire pourquoi, c’est juste que ce qu’ils font ne me parle pas. Parmi les nouveaux, j’aime beaucoup Chris Buck des Cardinal Black pour n’en citer qu’un.
TMM : Si tu devais donner un conseil à un jeune guitariste qui se lance dans l’apprentissage, qu’est ce que tu voudrais lui transmettre ?
Nina : Je dirais sortir assez vite du cadre, ce qui n’est pas toujours évident parce qu’on a envie de bien faire quand on débute, d’être studieux quand on aime ce qu’on apprend. Mais rapidement il faut réussir à trouver sa propre personnalité et surtout écouter de la musique pour travailler son oreille. Je suis autodidacte donc c’est facile à dire mais j’ai surtout appris la musique en l’écoutant et en essayant de relever les notes, ce qui est plus long et plus fastidieux mais c’est ce qui permet d’aiguiser son oreille. Voilà ce serait peut-être mon humble conseil, écouter de la musique et trouver son style. Je dis souvent qu’il y a beaucoup de guitaristes qui savent jouer de tout, qui sont curieux d’explorer tous les styles musicaux et qui peuvent s’adapter pour jouer avec d’autres musiciens. Mais personnellement ce n’est pas mon but. Sans vouloir être la meilleure, je préfère être satisfaite de moi dans ce que j’ai envie de faire, dans un domaine précis, sans avoir besoin de savoir jouer parfaitement du jazz ou d’autres styles. Je laisse ça aux autres. Par contre dans ce que je fais, je veux vraiment pousser le curseur jusqu’au bout.
TMM : Qu’y a-t-il dans ta playlist du moment, ta dernière découverte musicale ?
Nina : Mon coup de cœur du moment, c’est Mk.gee que j’adore, notamment la chanson Are You Looking Up. Sinon j’écoute beaucoup The Sheepdogs, un groupe canadien, qui est passé au Badaboum à Paris il n’y a pas longtemps. Cardinal Black aussi dont je te parlais à l’instant, qui vient de sortir un EP de trois titres vraiment excellent.
TMM : On te retrouvera bientôt en tournée pour soutenir cet album. Est-ce qu’on peut s’attendre à découvrir d’autres épisodes de ton émission Pieces Of Wood ?
Nina : Pour l’instant on n’a pas eu le temps de se pencher dessus parce qu’on a été pas mal occupé avec l’album mais j’aimerais vraiment en refaire parce que j’ai une jolie liste d’invités que j’aimerais recevoir donc il faut qu’on continue ce concept, voire même l’étendre à autre chose que YouTube. En tout cas c’est ce que j’aimerais. Peut-être en faire un podcast ou un autre format. C’est en réflexion mais j’espère que ça va vraiment se concrétiser.
‘Tales Of A Guitar Woman’, le nouvel album de Nina Attal disponible le 28 mars 2025.