Ménades fait indéniablement partie des groupes français à surveiller de près. Ce quintet incandescent ravive la flamme rebelle du punk rock des années 90, tout en y injectant des touches de shoegaze, de psychédélisme, voire même de funk. Ce mélange explosif donne naissance à des rythmes syncopés, des guitares dissonantes, des voix baignées de réverbération et des lignes de basse aussi bondissantes qu’entêtantes. Une furie sonore proche de la transe, qui prend toute son ampleur dans l’énergie brute de leurs performances scéniques. Corps et instruments comme habités, le groupe déploie une euphorie frondeuse et joyeusement sarcastique, dans une veine proche des Viagra Boys, IDLES ou Amyl & the Sniffers.

Après deux tournées européennes, une escapade remarquée aux États-Unis et un passage salué à Rock en Seine, Ménades a sorti en février son premier album qu’il présente sur les scènes des festivals cet été. À l’occasion de leur venue à Art Rock, nous avons rencontré Eva Bottega (chant) et Dauphin Gallo (guitare) pour revenir sur leur parcours et leurs inspirations.

The Morning Music : Dans la mythologie grecque, les Ménades étaient des fidèles qui vouaient un culte à Dionysos, le dieu du vin et de la fête. En quoi ces figures antiques vont ont inspirés ?

Eva Bottega : Les ménades, ce sont des musiciennes qui sont de véritables furies. Elles sont connues pour avoir décapité Orphée, le dieu de la musique. Ce sont un peu les sorcières punk de l’antiquité.

Dauphin Gallo : Elles sont à la fois fêtardes et vénères. Ça nous correspondait bien comme nom de groupe.

TMM : A l’heure où le rap et l’électro sont très présents dans le paysage musical français, est-ce qu’on n’a pas l’impression de faire de la résistance quand on fait du punk rock en 2025 ?

Eva : Je ne sais pas si on le vit comme ça. On écoute tous des styles très différents, notamment du rap et de l’électro. Sans parler de résistance, ça peut poser des problèmes sur certains aspects. Par exemple, c’est plus compliqué pour réaliser un album parce ça demande plus de moyens que l’on a pas forcément.

Dauphin : Oui et puis l’industrie dite mainstream s’est plus ou moins habituée à faire des plateaux qui coutent moins chers. On met deux personnes sur scène, on branche une clé usb et on crée un live. D’une certaine manière, c’est très bien parce que ça démocratise l’accès à la scène. On peut faire des concerts sans avoir été au conservatoire pendant dix ans. L’accès à la musique est facilité pour des personnes qui sont issus de certaines classes sociales, des personnes queer ou racisées. Mais quand on veut faire du rock, c’est compliqué parce que l’industrie n’est pas toujours prête à accueillir cinq personnes qui arrivent sur scène avec un instrument. C’est donc peut-être sur cet aspect là que c’est plus difficile de faire du rock en 2025 mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait une sorte de lutte ou de résistance.

Eva : Je pense que c’est surtout la musique que nous avons envie de faire sur scène. Mais comme dis Dauphin, cela pose un certain problème au niveau de l’industrie, comme le fait d’avoir moins de passages radio potentiels. Ce qui est le cas aussi pour d’autres styles musicaux.

TMM : Votre premier album ‘Sur leurs cendres’ est paru en février dernier. Il s’inscrit dans une veine résolument punk aux textes engagés, en résonance avec une époque marquée par de multiples bouleversements. Sans parler de révolution, il y a cette volonté de faire entendre votre voix, vos inquiétudes, vos colères dans vos chansons. Je pense à Une balle de plus ou au titre éponyme.  

Eva : Pour Une balle de plus, c’est très clairement ça. J’ai écris les paroles de cette chanson après m’être faite alpaguer six ou sept fois en rentrant un jour chez moi. Elle pose la question de nos corps et de nos voix dans l’espace public. L’album est habité par plusieurs thématiques mais ce qui est sûr c’est qu’on vit dans un monde dans lequel on ne peut que constater l’intensification du fascisme, les massacres et l’horreur, que ce soit par rapport à ce qui se passe en Palestine, la question de l’écologie, les droits qu’on enlève aux personnes queer. La liste est très longue et cet album est hanté par ça, entre autres choses. Quand je chante « je danse sur leurs cendres », il y a cette sensation d’apocalypse, comme si tout avait déjà un peu brûlé.

TMM : Pourquoi faire le choix de chanter à la fois en anglais et en français ?

Eva : C’est selon comment me viennent les paroles en fait. On en a parlé toutes et tous ensemble, et les membres du groupe m’ont dit de ne pas me formaliser. J’ai l’impression, même sans trop y penser, qu’il y a des thématiques qui sont plus faciles à aborder en anglais pour évoquer quelque chose d’intime et d’autres qui sont plus impactantes en français pour des textes d’ordre plus politique.

TMM : Ces dernières années, on a vu apparaitre un certain nombre d’initiatives pour plus d’inclusion et d’égalité entre les hommes et les femmes, on peut citer More Women on Stage ou Majeures. En tant que groupe mixte, quel regard portez-vous sur ces actions ?

Dauphin : De manière générale, ce genre d’actions sont supers. C’est intéressant de voir que l’industrie musicale se rende enfin compte que c’est essentiel de pousser un peu pour qu’il y ait plus de diversité. Par contre, on a toujours une petite réticence quand on nous programme sur la soirée féminine du festival, ce qui a plusieurs fois été le cas. Ce qu’il y aurait de plus inclusif, ce serait de nous programmer tout court, au même titre qu’on programme des groupes exclusivement masculins. Ce genre d’initiatives restent nécessaires pour que ce soit normalisé par la suite et qu’on ne se sente plus comme un quota. Mais heureusement qu’il y a ces initiatives, More women on stage font un travail super.

Eva : Je trouve aussi que des initiatives comme ça rassurent. Quand on arrive dans un lieu et qu’on voit qu’il y a un lien entre More women on stage ou des associations similaires, on se tranquillise un peu. Dans le milieu du rock, il y a souvent que des mecs alors quand on voit passer leur logo, ça fait chaud au coeur.

TMM : Votre renommée, vous l’avez forgée sur scène en France et à l’étranger. Comment vous l’appréhendez ?

Eva : C’est ce qui nous plait le plus. Rien que dans notre manière de composer et de concevoir notre musique, on se met en scène en jammant. Jouer et être sur scène, c’est dans l’ADN du groupe. Je pense que c’est impossible d’envisager le groupe sans faire de live, c’est le point central.

Dauphin : C’est toujours un moment privilégié où on peut donner plein d’énergie et la recevoir en retour d’un public. C’est assez magique. C’est un peu pour ça qu’on fait de la musique et c’est pas grave si elle ne passe jamais à la télé ou à la radio, ce qu’on veut c’est jouer su scène.

TMM : A quelques heures de monter sur la scène du festival Art Rock, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Eva : On a trop hâte ! On est hyper content d’être là, toutes et tous on est comme des gosses !

Dauphin : C’était vraiment une bonne nouvelle quand on a apprit qu’on était programmé dans ce festival. Et la programmation est géniale ! J’aimerais beaucoup le faire en tant que festivalière parce que quand on y joue, on rate tout.

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